Quand le client déconsomme
Le 04/02/2020
Circuits courts, bio, commerce équitable, « faire soi-même »…
L’appétence des Français pour de nouvelles manières de consommer ne fait qu’augmenter. La prise de conscience du « toujours plus » dans un monde aux ressources épuisables rendrait ainsi la société de consommation caduque…
De plus en plus de consommateurs considèrent qu’acheter est un acte militant et ces consom’acteurs ont bien mesuré le pouvoir dont ils disposent.
Par Christophe Polaszek
Ils se remettent aux fourneaux, privilégient les produits frais et de saison, évitent le gaspillage, favorisent les produits bio, locaux, les circuits courts… Les Français revoient leurs façons de consommer, en tout cas pour ce qui est de l’alimentaire. Selon une récente étude publiée par l’Agence Bio, plus de la moitié d’entre eux (57%) déclarent avoir modifié ce type d’achats au cours de ces trois dernières années.
Plus étonnant, les volumes des denrées alimentaires acquises dans les grandes surfaces ont baissé (-0,8 % en 2018). Une situation inédite depuis 2008 mais, cette fois-ci, la crise économique n’y est pour rien. « Les Français sont en train de changer, ils veulent consommer moins et mieux », constate la société d’études IRI qui a publié la mesure. Dans d’autres secteurs, ce ne sont pas seulement les volumes, mais aussi les chiffres d’affaires qui chutent. Le marché de l’habillement a ainsi perdu 15 % de sa valeur depuis 2007. Pour autant, on ne se promène pas tout nu… Alors c’est quoi cette tendance conso ?
Recherche de sens
« Il y a un mouvement général, une forme de mécontentement à l’égard du système marchand traditionnel, qui s’exprime à travers de nouvelles pratiques », confirme Philippe Moati, économiste et cofondateur de l’Observatoire société et consommation (Obsoco). Les raisons ? « L’envie de reprendre la main sur la consommation et d’y retrouver plus de sens, des préoccupations environnementales et de santé, et la recherche du lien social », énonce le chercheur. Conséquence : les consommateurs répartissent leurs achats entre un plus grand nombre d’enseignes, y compris les petits commerces de proximité, les marchés de plein vent et les Amap (association pour le maintien d’une agriculture paysanne). Quid du succès du commerce en ligne ? Il répond directement au : « j’achète si je veux, quand je veux et à qui je veux ». Les scandales à répétition mis à jour chez des industriels peu scrupuleux n’ont fait qu’ajouter de l’eau au moulin : pesticides, mensonges sur le diesel, excès de sel, d’additifs, perturbateurs endocriniens, rémunération des agriculteurs… 73 % des Français ne font désormais plus confiance aux grands distributeurs et aux marques – contre 42 % en 2004* !
* Baromètre de la consommation responsable, Greenflex-Ademe, septembre 2019.
Une « petite » révolution est aussi apparue ces dernières années. Le développement du numérique a considérablement fait évoluer les pratiques : on scanne les étiquettes, on recueille les avis sur les forums, on interpelle sur les réseaux sociaux… « J’utilise l’application Yuka qui me permet de lister l’impact des produits sur la santé. Une marque de soins qui affiche des valeurs naturelles m’a beaucoup déçu car tous leurs savons sont en fait mauvais », témoigne Marc Aubert, 54 ans, de Toulouse. Mieux informés, les consommateurs font craquer le vernis du marketing en quelques clics.
« Ce qui pourrait définir le consommateur citoyen, finalement, c'est que partout où il interroge son acte d'achat, le chemin est forcément vertueux. »
Michèle Mercier, Bénévole pour l'association Bio Consom'acteurs
Le boycott, très répandu dans les pays anglo-saxons, gagne peu à peu du terrain chez nous, et fait peur ! En cas de doute, les Français changent plus facilement de marque ou de « crémerie ». Une façon de montrer son désaccord et de ne plus se laisser imposer les choix des industriels, comme vendre des légumes hors saison ou des chaussures fabriquées par des enfants, à l’autre bout de la planète. « Je ne vais plus en grande surface et ça, ça me soulage ! Il faut être cohérent avec ses convictions. On n’est pas forcément au courant de tout, mais c’est à nous de nous informer pour mieux consommer. Manger de meilleurs produits, de saison, c’est forcément meilleur pour la santé aussi », sourit Kevin Montalibet, 35 ans, de Grenoble.
Paradoxes et éthique
Peut-on pour autant parler d’un rejet total de la consommation ? Pas si évident… Les entreprises n’ont eu de cesse de développer l’offre des produits disponibles selon le principe : « l’offre crée sa propre demande ». Le mouvement du « faire soi-même » en est la parfaite illustration. Faire ses cosmétiques ou ses yaourts, repriser ou tricoter, cultiver ou réparer… La tendance a émergé suite à la crise et se développe depuis. À tel point que le marché en France est estimé aujourd’hui à 95 milliards d’euros…, soit deux fois celui de l’habillement. Paradoxe : un marché de déconsommation est en route.
Tout ceci serait évidemment confus si ne venait s’ajouter une donnée éthique : selon ses choix, le consommateur n’entre pas dans les mêmes circuits et ne s’engage pas avec le même sens. « Celui qui pousse la porte d’un réseau coopératif n’encourage pas les mêmes pratiques que dans un réseau commercial », abonde Fiona Kokorian, diplômée d’École de commerce et bénévole chez Générations Cobayes, un mouvement de jeunes consommateurs qui mobilise les 18-35 ans sur les sujets de santé et environnement.
Remettre en question
Biocoop est une coopérative qui a justement décidé de porter des engagements très forts de responsabilité sociétale. « Ce sont des consommateurs qui se sont pris en main pour créer leurs propres outils économiques », rappelle Philippe Jouin, directeur de Biocoop restauration et premier président de la coopérative (1987-1999). À contre-courant du marché, ses acteurs (gérants de magasins, producteurs, salariés, consommateurs) ont mis en avant très tôt des valeurs respectueuses de l’environnement et des citoyens : la bio, le local, la saisonnalité, le vrac, le refus de vendre l’eau en bouteille plastique…
Attention à la récup’
« La plus importante des caractéristiques de la société de consommation, rappelle l’économiste Robert Rochefort dans son livre La société des consommateurs, c’est son pragmatisme total : elle sait rebondir à partir des critiques qui lui sont faites et en faire le point d’appui de son développement ». Les industriels savent observer, s’adapter, calquer les tendances à leur production, se les approprier… Aujourd’hui, ils proposent une approche plus centrée sur l’individu (technologies dernier cri, mode communautaire…) et l’usage (louer ou s’abonner plutôt qu’acheter). Certaines enseignes mettent en scène un marketing du « dé-marketing », critiquant ouvertement un modèle productiviste dont elles dépendent. N’importe. La prise de conscience grandit. « Les jeunes générations s’interrogent – elles ont compris le lien entre croissance à tout prix et réchauffement climatique. Leur message : être reconnu à travers ce que l’on est et non ce que l’on a », se réjouit Fiona Kokorian. Et ce n’est qu’un début.
Les néo-consommateurs En novembre dernier, nous vous avons demandé sur la page Facebook de Biocoop « Quel consommateur êtes-vous ? ». Voici trois portraits qui illustrent les tendances recueillies.
Victoria Charlène Emmanuel |
En savoir plus sur le pouvoir des consommateurs, sujet du Dossier du n° 109 de CULTURESBIO, le magazine de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles, ou à télécharger sur le site de Biocoop.