Paysages bio de la Manche
Le 24/08/2022
Ludovic Lecrosnier, éleveur laitier bio,
dans sa ferme de la Motte près de Barenton, nous montre sa façon de dire bonjour
à une vache : allongé et serein dans un pré-verger pour attiser la curiosité du paisible ruminant…
Le lait. Il domine dans le paysage manchois. Sans surprise. L’image bucolique des prés et des vaches sous les pommiers colle au pays.
Ludovic Lecrosnier, éleveur bio à Saint-Cyr-du-Bailleul, a vu la production laitière s’intensifier depuis la fin des quotas il y a près de 10 ans, mais pas au même rythme que le cheptel. Quel est le rapport avec le paysan, le pays et le paysage ?
Pour augmenter la production, l’agriculteur peut jouer sur l’alimentation des animaux, souvent avec le maïs au lieu de l’herbe ou le foin du pré. Ce qui n’est pas sans conséquence, selon l’éleveur, représentant de la Confédération paysanne de la Manche : dépendance accrue aux machines, au pétrole, au marché ou aux importations de soja. Dans ce schéma, haies et pommiers dans les champs deviennent encombrants.
Des prés et des pommiers, certes il en reste : le département est grand producteur de cidre.
Mais « l’important est que les vaches broutent dans les prés ! »,
insiste Jérôme Lecrosnier, producteur de cidre et de poiré sur la même exploitation que son frère Ludovic, soucieux de la complémentarité des productions.
« Quand vous ne voyez pas de vaches dehors, demandez où sont-elles et observez la taille des bâtiments. » Le maïs et l’ensilage ne sont jamais loin.
Pour autant, « les agriculteurs se posent de plus en plus de questions sur le modèle dominant. Ils voient les problèmes. Les pesticides, le prix des carburants, de l’azote, la dégradation de l’environnement, les glissements de terrain après l’orage », poursuit l’éleveur.
Alors on replante les haies, on compte les grands arbres, on les expose en photos, comme dans le Domfrontais qui abrite une poiraie unique en Europe.
L’adage dit d’eux : « 100 ans pour pousser, 100 ans pour produire, 100 ans pour mourir ». Et le lieu est le berceau de deux AOP (appellation d’origine protégée) : un poiré et un calvados à base de pommes et de poires.
« ÇA CHANGE TOUT DE MÊME »
« Ça change tout de même, admet Chrystelle Rochard de la ferme de la Motte. Mais plus lentement qu’on voudrait ! »
De fait, l’agriculture bio a bien progressé et le département est en bonne place comparé à ses voisins normands, avec plus de 8 % de SAU bio en 2020 et, en 2019, 15 % de l’effectif national de vaches laitières bio.
Si le nombre d’exploitations laitières certifiées bio a beaucoup progressé ces dernières années, la consommation, après l’embellie de la période Covid-19, semble se tarir, entraînant dans la filière des déséquilibres entre l’offre et la demande. Certains craignent que les problématiques du conventionnel, où le producteur est la variable d’ajustement du marché, ne rattrapent les éleveurs bio. D’autant que le secteur a connu des changements.
Des collecteurs aux distributeurs en passant par les transformateurs, les acteurs sont nouveaux et plus nombreux.
« Les principaux sont aujourd’hui ceux qui font majoritairement du conventionnel et pour qui le bio est une diversification, un marché.
Ce n’est pas leur priorité, à la différence des historiques qui en dépendent. Ceux-là portent la bio comme un projet de société, au sens où ce qui compte, c’est de la développer partout et pour tous, avec du lien au sol, des exploitations en autonomie alimentaire et, surtout, la volonté de sortir des pesticides »
affirme Ludovic Lecrosnier.
Comme ailleurs en France, le maraîchage bio connaît un essor tandis que l’installation de jeunes, parfois non ruraux, contribue à revisiter le métier d’agriculteur. Certains réécrivent le paysage, tels le maraîcher Charles-Henri Challier avec sa jument de trait percheronne, quasi locale, ou la chanvrière de Barenton qui fait renaître dans le département, après un siècle d’oubli, les cultures de chanvre.
Aude, Charles-Henri et leur jument, maraîchers bio à Tirepied dans le Champ de la Chouette
Citons aussi Vincent Fabbris qui cultive des blés anciens et fait du pain dans une ferme au cœur de la ville, à Avranches. Originaire d’une autre région, « un autre pays », il se définit comme un paysan, paysan-boulanger.
Pour lui, « ce mot est important », car « il désigne celui qui façonne et fait vivre le pays et le paysage ! ».
Vincent Fabbris, paysan-boulanger dans son superbe fournil de pierre et de bois de la ferme du Petit Changeons, prépare la fournée qu’il livrera au magasin Biocoop d’Avranches.
Un rituel hebdomadaire aux gestes précis et exigeants, telle une pièce de théâtre rodée et souvent jouée sur un air de musique, comme Dansez encore de HK ce jour-là, avec une poule et un chat derrière la vitre de la fenêtre en guise de spectateurs.
Retrouvez cet article en intégralité dans le n°124 de CULTURESBIO, le magazine de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles.